Mahaut, notre jeune héroïne, décide de révéler son secret et son plan à Élias, le jeune homme qu’elle a rencontré quelques jours plus tôt. Pour être sûre qu’il la croie, elle l’emmène chez elle constater la vérité de ses propres yeux…

— Je ne sais pas à quoi tu penses, dit le jeune homme derrière moi d’un ton amusé, mais ça a l’air sacrément important.
— Hein ? balbutiai-je.
— Tu es dans tous tes états.
Sans blague… Je sortis mes clés de mon sac, les mains tremblantes de nervosité.
— Écoute, me lançai-je en glissant la clé dans la serrure, il va falloir que tu sois hyper ouvert d’esprit, d’accord ?
— Je suis toujours ouvert d’esprit, répondit-il avec sa tranquillité déconcertante.
Hum. Il n’y avait plus qu’à espérer que ce soit vrai.
Je poussai la porte. Le salon baignait dans la lumière de la lune. J’allumai le plafonnier.
— Entre, l’invitai-je.
Élias ne se fit pas prier. Je m’empressai d’aller fermer les volets. Je ne désirais pas qu’on puisse nous voir depuis l’extérieur. Élias resta poliment à l’entrée de la pièce, à regarder la décoration avec curiosité. Je pris une grande inspiration. Pourvu que mon choix soit le bon.
— Voilà… murmurai-je. Voilà ce que je voulais te montrer.
Je saisis la boîte d’allumettes sur la table basse avec délicatesse et l’apportai jusqu’à lui. Ses yeux s’écarquillèrent. Je me contractai. C’était parti.
— C’est une fée, articulai-je avec une boule au ventre grosse comme une pastèque. Je sais que c’est dur à avaler, mais les fées existent. Et il y a des gars qui les traquent pour les tuer, parce qu’ils détestent la magie. Mais elles sont gentilles ! Celle-là, elle s’appelle Laurette. Et elle est gravement blessée parce qu’elle a affronté un de ces types. C’est lui qui a mis la cour de mon immeuble dans cet état.
Élias releva la tête vers moi, bouche bée. Évidemment.
— Elle a une aile cassée, ajoutai-je avec l’impression que les mots se bousculaient pour sortir. Et sa magie s’échappe par là, elle est en train de mourir. J’ai fait tout ce que j’ai pu pour la soigner, mais ça ne marche pas. Je veux dire, ça ne suffit pas. J’ai… J’ai besoin d’un truc pour elle et… et…
Bon sang, j’allais beaucoup trop vite ! Allait-il réussir à me suivre ? Avait-il compris quoi que ce soit ? N’avais-je pas été trop décousue ?
Le jeune homme referma la bouche et ses prunelles à deux teintes de bleu se mirent à pétiller. Il m’adressa un sourire lumineux.
— Je savais déjà que tu me plaisais, Mahaut, mais alors là, c’est le pompon !
— Hein ? bredouillai-je.
— En plus d’être une cheffe et une guerrière, tu protèges des fées ! Tu es sûre que tu ne veux pas m’épouser ? Ma famille va t’adorer.
J’en restai sans voix. Il se moquait de moi, non ?
Il se pencha pour examiner de nouveau Laurette.
— Bon, par contre, nota-t-il, tu ne t’en occupes pas très bien.
La moutarde me monta au nez d’un coup.
— Quoi ? rugis-je. Je te signale que je fais ce que je peux ! Je ne sais qu’elles existent que depuis trois jours ! Et tu es censé être sous le choc, là !
Il me coula un regard malicieux.
— Tu m’as demandé d’être ouvert d’esprit, je suis ouvert d’esprit. Et puis c’est toi qui dis qu’il ne faut jamais montrer quand on est décontenancé.
Je me renfrognai. Il n’y avait rien à répondre à ça. Il apprenait vraiment très vite.
Élias se redressa et croisa les bras.
— Mais je dois reconnaître que je suis surpris quand même, reprit-il. Et j’ai beaucoup, beaucoup de questions.
Le soulagement m’envahit. Enfin une réaction normale !
— Je ne sais pas grand-chose, avouai-je. Juste que j’ai besoin d’un truc en particulier pour la soigner.
Il hocha la tête.
— OK. Qu’est-ce que c’est ?
— Une fleur qui s’appelle la pâquerette de lune, expliquai-je. Ça peut soigner les ailes de fées. Et je sais où en trouver.
Mon cœur se mit à battre un peu plus fort. Nous y étions. Il avait bien pris l’existence des fées, mais là, j’entrais dans une autre partie, bien plus délicate.
— C’est juste que… je ne peux pas y aller toute seule, bafouillai-je. Parce que… Parce qu’il faut cambrioler une maison.
Un de ses sourcils sombres se souleva. Intérêt ou désapprobation ? Je n’en savais rien.
— Je n’ai pas le choix, soufflai-je à toute allure. Sinon Laurette va mourir. Elle décline de jour en jour. Depuis cet après-midi, elle n’arrive même plus à boire. J’ai… J’ai peur pour elle. Je dois y aller. Cette nuit. Et je… J’ai besoin d’aide. Je… Je ne sais pas comment entrer. Il faudrait forcer des serrures et… Et…
Un sourire roublard vint étirer le coin des lèvres d’Élias.
— Forcer des serrures ? répéta-t-il, la voix pleine de rires.
— Euh… Oui.
— Tu n’avais pas perdu ta clé de cadenas, tout à l’heure ? Tu me testais ?
— Euh… Ben… Je…
Cela ne s’était pas vraiment passé comme ça, mais j’admettais que ça y ressemblait.
— Très bien, ajouta-t-il devant mon silence anxieux. Elle est où ?
— Qui ?
— La maison à cambrioler, elle est où ?
Je le dévisageai, abasourdie. Il acceptait ? Juste comme ça ?
— Ça… Ça pourrait être dangereux, balbutiai-je.
— Aucun problème, assura-t-il en posant les poings sur les hanches pour faire gonfler ses épaules. Je te protégerai.
Ah. Ce n’était pas du tout ce que je voulais dire.
Dans sa boîte d’allumettes, Laurette exhala un soupir de mauvais augure. Je me repris instantanément. Il n’était plus temps de tergiverser !
— C’est un manoir, dans la forêt à l’est d’Épernay, déclarai-je donc. La propriété est immense, avec un grand mur d’enceinte et une grille en fer à l’entrée.
Les yeux d’Élias s’écarquillèrent. Eh bien quoi ?
— Tu veux cambrioler… ce manoir-là ? s’étouffa-t-il.
— Euh… Oui… Tu connais ? Si tu n’es pas d’accord, je comprendrai…
Un sourire hilare fendit son visage.
— Bien sûr que si, je suis d’accord !
— Ah bon ?
— Et comment !
Je restai interdite. De toutes les réactions possibles, ce mec avait la plus bizarre…

Et pour cause… 😉
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